Quatre ans après Sotchi, le sommet Russie-Afrique se tient à partir de ce jeudi 27 juillet à Saint-Pétersbourg en Russie et doit durer deux jours. Cette nouvelle édition se tient dans un contexte particulier, alors que Moscou est en guerre en Ukraine depuis un an et demi. Selon le Kremlin, 49 pays africains et 17 chefs d’État ont confirmé leur participation à ce rendez-vous. Plusieurs thématiques devraient être abordées comme l’énergie, la sécurité ou encore l’alimentation. La semaine dernière, Moscou s’est retiré de l’accord céréalier qui permettait l’exportation des grains ukrainiens via la mer Noire. Quel est l’enjeu de ce sommet ? Quel avenir pour la société paramilitaire Wagner, un mois après le coup de force de son chef Evgueni Prigojine ? Des questions que Pierre Firtion a posé à Ahoua Don Mello, consultant du patronat russe sur les dossiers africains et représentant pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale des BRICS, l’alliance entre la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.
RFI : Ahoua Don Mello, quatre ans après Sotchi, quel est l’enjeu de ce sommet Russie-Afrique ?
Ahoua Don Mello : L’enjeu fondamental, évidemment, c’est de resserrer les relations politiques et idéologiques entre l’Afrique et la Russie. Mais au-delà du lien idéologique et politique, il y a des enjeux économiques énormes. Et aussi, au-delà, donner un contenu de développement au rapport économique entre l’Afrique et la Russie.
En 2019, 43 chefs d’État et de gouvernement avaient fait le déplacement à Sotchi. En pleine guerre en Ukraine, la Russie veut montrer qu’elle n’est pas isolée sur la scène internationale. Néanmoins, ça va être compliqué de faire mieux qu’à Sotchi…
Vu l’écho favorable que rencontre la vision de Poutine à travers l’Afrique, il y aura certainement une mobilisation des peuples, d’abord, autour de ce sommet. Et deuxièmement, les chefs d’État qui peuvent véritablement assumer leur souveraineté et leur indépendance vis-à-vis de l’Occident, parce qu’on n’oublie pas qu’il y a beaucoup de pression sur plusieurs chefs d’État, ceux-là se rendront là-bas pour négocier un nouveau partenariat entre la Russie et l’Afrique.
La semaine dernière, la Russie s’est retirée de l’accord céréalier qui permet notamment l’approvisionnement du continent en céréales ukrainiennes, n’est-ce pas une mauvaise manière faite là au continent africain ?
On se rend compte qu’en fait, cet accord-là sert beaucoup plus à l’Europe qu’à l’Afrique. Et Vladimir Poutine l’a dénoncé publiquement. Et il a dénoncé les entraves à l’exportation de produits russes vers le continent africain, et je crois que c’est tout ceci qui constitue les problématiques à régler pour qu’on puisse ouvrir de nouvelles perspectives.
Est-ce selon vous un hasard si la Russie s’est retirée de l’accord quelques jours avant le sommet de Saint-Pétersbourg ?
Non, il (Vladimir Poutine) l’avait déjà dénoncé en septembre en 2022.
Il avait été reconduit quand même, cet accord, à plusieurs reprises…
Oui, mais il l’a dénoncé, il a averti que ça ne permettait pas d’atteindre les objectifs affichés.
Outre cette question, de nombreux autres thèmes seront abordés lors de ce sommet. On voit mal comment l’avenir de Wagner en Afrique pourrait ne pas être évoqué.
L’avenir de Wagner, ça, je crois que c’est l’affaire des chefs d’État africains puisque Wagner, comme vous le savez, est une société privée qui a contracté avec les différents États. Donc, c’est aux États d’apprécier la situation et de renouveler leur confiance en Wagner ou de chercher des alternatives dans la mesure où il y a quand même beaucoup de pays qui ont signé des accords directs de coopération entre la Russie et ces différents pays africains. Et ces accords-là peuvent être renforcés pour pouvoir suppléer éventuellement au phénomène Wagner.
Mais après le coup de force de Prigojine du 24 juin, la société Wagner va-t-elle continuer à exercer ses activités comme avant ? Aura-t-elle la même marge de manœuvre selon vous ?
Les marges de manœuvre de Wagner sont insondables, mais ce qui est important, c’est la montée en puissance des armées nationales. Et ça, je crois que les accords de coopération et de défense entre la Russie et les pays africains, permettent justement de combler l’absence même de Wagner si tous les volets de cet accord-là sont activés au profit des forces nationales. Et donc Wagner sera de moins en moins présent dans la mesure où les forces nationales reprendront progressivement le relais.
Pensez-vous que certains pays vont profiter de ce sommet pour signer de nouveaux contrats d’armement avec Moscou ?
Oui, ça c’est sûr, dans la mesure où la technologie russe est beaucoup plus désirée en Afrique et le partenariat russe, en matière de défense et de sécurité, a fait ses preuves en Afrique. Et donc je pense que l’occasion est belle pour améliorer la coopération militaire entre l’Afrique et la Russie.
Les investissements russes présentent moins d’1% des investissements étrangers sur le continent. La Russie exporte très peu de produits africains, les objectifs fixés à Sotchi en termes de volumes d’échange n’ont clairement pas été atteints.
La crise ukrainienne a constitué un véritable obstacle à l’atteinte de ces objectifs, et je pense que cette crise-là va nous permettre de définir une nouvelle stratégie de coopération directe entre l’Afrique et la Russie, et c’est l’enjeu fondamental de ce sommet-là.